Du 27.10_01.12.24
Vernissage le 26 octobre à partir de 18h
Texte : Jean-Claude GUERRERO
Conversations.
(Les Figures-forces de Jean-Christophe DE CLERCQ)
Le support : Le papier Arches d’un blanc immaculé constitue le support privilégié de Jean-Christophe De Clercq. Il est l’espace scénique qui invite à l’action. Son blanc matriciel matérialise le vide, lequel n’est ni le rien ni l’absence.
Ce vide est connoté positivement dans la tradition orientale : il est espace infini considéré comme objet en soi dans la peinture. Il est l’intervalle entre deux pensées auquel se relie le méditant. Il trouve son équivalent dans l’éther primitif. Ce fluide des anciennes cosmogonies est le principe fondamental qui origine et anime la matière.
Le format de la feuille détermine et canalise le geste plastique de celui qui sait faire silence en lui pour qu’adviennent la plénitude, la densité ou l’évanescence d’une figure graphique ou picturale. Cette figure émerge de la surface du papier vierge. Un continuum la lie subtilement à l’espace blanc du support.
Posé sur le sol ou sur une grande table-scriptorium, le papier est à l’échelle de l’amplitude du bras. Neutre, il apporte sa blancheur satinée, sa planéité, sa légèreté, son grain atténué, sa résistance à l’outil. Vif, il capture et fixe dans l’instant le sillage aquarellé issu de la brosse ou du large pinceau.
Les outils : Le pinceau plat sans bulbe, la brosse large et le crayon graphite sont les outils de prédilection choisis pour leur sensibilité et leur perfectionnement. Certaines brosses sont réalisées par l’artiste qui les façonne avec soin selon l’effet souhaité, établissant ainsi une affinité élective entre l’outil, le support et le médium. Ces moyens sont au cœur du modus operandi. Ils portent en germe la production à venir. Les effets picturaux, graphiques, calligraphiques, ou scripturaux, sont conditionnés par les propriétés des outils comparables à ceux du calligraphe oriental.
En une procédure maîtrisée, à partir de l’usage d’une grande palette, encre noire et gouaches colorées sont distribuées sur l’arête des poils fins, souples et synthétiques d’une large brosse pour que naissent de son application un modelé au dégradé subtil et de fines nervures aux suggestions végétales. Cette brosse façonnée artisanalement s’adapte aux médiums aqueux, couvrants ou non, c'est-à-dire l’encre noire et la gouache aux rendus opaques ou transparents selon les degrés de dilution. La brosse, plus ou moins imbibée, révèle le médium dans ses propriétés, de même que le médium révèle l’outil. La rigueur de la procédure trouve son origine dans la fréquentation du maître coréen Ung No Lee par qui Jean-Christophe De Clercq fut initié.
A l’instar des encres mescaliniennes et fébriles d’Henri Michaux, la trace minutieuse, fluide et lente devient enregistrement sismographique, captation de forces élémentaires en œuvre. Elle révèle les moindres spasmes, inflexions ou pulsations du geste converti en flux. C’est ainsi que les Anciens [peintres chinois] confiaient leurs élans intérieurs au pinceau et à l’encre […].
Le geste, expérience de l’élan, s’inscrit dans le flux de l’univers. Mesuré, sans extravagance, sans être instinctif, il s’affirme, se développe selon des échelles variables à partir du poignet, du coude, de l’épaule, du bras ou du corps tout entier. La figure picturale naît d’une activité consciente et d’une expérience intérieure.
Les outils sont manœuvrés par une main experte selon un rite précis et une posture qui suppose une maîtrise acquise durant des années de pratique. Ecrin silencieux, le papier accueille la trace de l’outil et du faire. Les traces et leurs variations, nées du déchargement contrôlé de l’outil, s’apparentent, selon leur nature, à celles produites par le graphiste, le calligraphe, l’idéographe, le peintre ou encore le scribe par certains effets cursifs.
Formes et formations : Les traces gestuelles et structurantes ne construisent pas vraiment des formes. Elles mettent plutôt en scène des formations aux évocations diverses. Ces formations picturales sont l’expression des forces qui irriguent le vivant. Emanations du flux originel ou du souffle vital dont l’action est unificatrice, cette énergie révélée et canalisée a pour équivalent le prana en sanskrit, le chi ou le ki-yun dans les cultures chinoises ou japonaises, c'est-à-dire le souffle de l’esprit ou l’énergie plasmatrice de la nature à laquelle s’oppose l’inspiration de l’artiste. Elle a aussi pour équivalent, le pneuma des grecs anciens ou bien ces vents, au nombre de douze, qui vivifient le monde selon les visions d’Hildegarde de Bingen. L’œuvre ne livre pas un résultat mais une gestation qui lie intimement l’outil, le médium, le support et le geste. La trace graphique ou picturale a sa vie propre ; elle dessine, tel un sillage, une trajectoire excluant tâtonnements ou repentirs. Elle n’est pas image, mais action suspendue, être et apparaître, entretenant une relation existentielle avec son auteur. Elle devient la manifestation visible et plastique de l’esprit créateur.
L’objet de la peinture et son sujet ne font qu’un. L’œuvre livre sa littéralité plastique, sa présence au monde. Spectacle qui se suffit, elle ne renvoie qu’à elle-même. Sans pourquoi, elle ne communique pas de message car elle n’est pas langage. Elle livre un fait de nature qui échappe à l’ordre du discursif ou du narratif. Ce fait de nature est d’abord indiciel d’une gestation alla prima singulière. La figure n’est pas représentation du vivant, mais expression d’un vivant mystérieux dont la vie propre se confond avec le processus créatif. Elle atteste du processus dynamique de la création. L’œuvre inscrit l’acte impersonnel, car dénué de projections psychologiques, dans cette figure, laquelle se fait, bien davantage qu’elle n’est faite par l’artiste. Les opérations de la nature et celles de l’artiste se confondent lorsque ce dernier soumet sa volonté propre aux contingences en un lâcher prise intérieur (un surrender). Cette forme d’abandon de soi détermine la justesse, la grâce et l’évidence de la trace graphique ou picturale. Elle détermine la plénitude, la juste mesure d’une figure matérialisation d’un geste non pulsionnel, maîtrisé, en quête de sa perfection. Le rendu témoigne de cette posture intérieure sereine, sans urgence, apaisée et consciente, qui en est la condition.
Cette disposition mentale implique sobriété franciscaine, maintien de l’attention dans l’instant, concentration, discipline de l’esprit et mobilisation par lesquels l’artiste ne fait qu’un avec les contingences mises en œuvre. Il ne fait qu’un avec l’outil, en une non-dualité, selon une conception enracinée dans la plupart des traditions orientales ou panthéistiques. La bonne posture intérieure suppose un désencombrement préalable, une extinction du je (le moi identitaire, social et culturel) pour que le corps en général et la main en particulier échappent aux conditionnements et aux dynamismes intérieurs (pensées, émotions, jugements et autres parasitages) afin d’adopter le beau geste, le geste qui trouve dans sa gratuité sa justesse. Que l’art agisse par lui-même au travers de l’artiste suppose une grande unité intérieure, selon le mot de Georges Gurdjieff. Cette unité détermine l’instant décisif durant lequel la figure va pouvoir se présenter à l’artiste. Conception et Conçu sont simultanés.
Forces : Le mot force est ici emprunté à René Huyghe. Cet historien de l’art analyse dans son livre Formes et forces la similitude des structures propres à des domaines hétérogènes : la matière, les sociétés, l’intelligence, les œuvres d’art, etc. Jean-Christophe De Clercq établit une syntaxe plastique apte à expliciter ces forces qui animent et qui régissent l’ordre de l’univers. Le propos n’est pas de représenter le vivant mais de sonder en une investigation plastique ces forces de vie qui l’irriguent. Par une investigation picturale il fait émerger les structures dynamiques qui régissent leurs manifestations. Il donne ainsi un visage, à ces forces fondamentales. Les figures ainsi apparues, échappent à la dialectique du figuratif et de l’abstrait pour mettre à jour les structures de ce que Pierre Volboudt nomme l’intérieur de la nature.
En effet, ces structures fondamentales et vivantes sont communes à différents domaines, celui de la botanique, de la biologie, de l’astronomie, de la sociologie, de la musicologie, de la météorologie, notamment. Nous les appréhendons habituellement par l’imagerie scientifique qui en propose différents modèles : du cardiogramme au tonoscope transcripteur de son converti en structures mouvantes ; de l’encéphalogramme qui traduit l'activité électrique du cerveau en un graphique à l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Cependant, l’attitude de l’artiste n’est pas celle du savant en quête d’une compréhension (un savoir); elle est celle de celui qui observe dans l’émerveillement de ce qui est (une poétique).
Pour René Huyghe, donc, en art il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, mais de capter des forces pour les rendre visibles. L’artiste construit ainsi par sa gestualité allusive l’image statique de la vie dans ses manifestations cycliques, dans son écoulement rythmique, dans ses vibrations musicales ou dans ses ondes dynamiques. Dans une posture médiumnique, il assiste au spectacle d’un engendrement, simultanément acteur et témoin attentif au spectacle qui advient à travers lui.
Forces et syntaxe plastique : Une incursion dans l’univers de Jean-Christophe s’apparente à une plongée dans la cymatique (science qui étudie la visibilité des sons, des vibrations ou des fréquences par des techniques de conversion visuelle). Cet univers dresse une typologie des principes organisateurs universels. Les bruits de fond des énergies universelles trouvent ainsi leur correspondance dans des flux graphiques vibrants, ondulatoires, cinétiques, atomisés, pulvérisés ou ramifiés. Des points apportent ponctuations, pivots, repères spatiaux, polarisation dans ces morphogenèses. La ligne ne désigne pas une chose qu’elle délimite, elle est la chose dotée de ses pulsations, tensions, résonances et destin propres.
Reconnaître n’est pas identifier : Bien que porteuse de ressemblances, la figure n’est pas une représentation. Elle n’a pas vocation à raconter ou à signifier car elle n’est pas langage qui communique. Elle ne peut que décevoir celui pour qui l’image est image de. La quête du modèle est vaine car la figure ne se réfère qu’à elle-même et à sa propre genèse : chaque production génère sa propre harmonie fondée sur l’équilibre des flux et des vides. La figure est un fait de nature unique, irrecommençable et irreproductible. Ce fait de nature constitue en lui-même un microcosme qui réfléchit le macrocosme. Il sonde les mouvements d’écoulement ou de transformation qui animent le vivant. Nous noterons l’absence de titre. Sonder n’est pas nommer mais établir le constat de l’ordonnance de tout ce qui vit .
Présence consciente et nécessité intérieure : La vigilance mise en œuvre dans le temps du processus pictural s’oppose à l’automatisme de l’écriture des surréalistes liée à la théorie de la psychologie des profondeurs. La présence consciente de Jean-Christophe s’éloigne de cet automatisme libéré des entraves de la raison. L’artiste semble par contre en affinité avec Kandinsky qui énonce le principe d’une nécessité intérieure. Par ce principe de vie qui se distingue du sentiment, Kandinsky dénonce l’arbitraire d’une syntaxe plastique présente dans la peinture imitative et qui échappe aux lois de la nature. La voie de l’abstraction rendrait alors possible une fusion des règnes de la nature et de l’art, tous deux soumis aux mêmes lois de l’univers. Par cette interaction, la peinture née d’une nécessité intérieure rend perceptible une nouvelle résonance ou pulsation des flux universels.
Jean-Christophe est cet initié dont nous parle Paul Klee qui s’entend à faire entrer les choses dans le mouvement de l’existence … elles retiennent la trace de son mouvement, et c’est la magie de la vie.
Par son expérience, il fait sienne la parole d’Etty Hillesum : il faut devenir aussi simple et aussi muet que le blé qui pousse, ou la pluie qui tombe. Il faut se contenter d’être.
Formes, forces et affinités électives : Du 27 octobre au 01 décembre 2024 le Lieu d’Art Aponia accueille les œuvres graphiques et picturales de Jean-Christophe arrimées à une sélection d’objets hétérogènes issus de sa collection personnelle.
Minéraux, végétaux, coraux, objets de culte (planchette coranique, icône, rouleau magique éthiopien, statuettes votives ou rituelles, échelle dogon, …), coquillages, lithographies, peintures, dessins, poteries, gravures anatomiques ou animalières, mobilier designé, mannequin, bijoux, plans d’architecte, rotorelief de Marcel Duchamp, … la composent.
Ces objets issus d’une liste à la Prévert ou d’un improbable cabinet de curiosité, a priori hétéroclites, sont ceux avec lesquels Jean-Christophe a choisi de vivre.
Il s’agit, dans le cadre de cette exposition d’établir un dialogue visuel par lequel œuvres picturales et éléments de la collection s’explicitent et riment en un rapport de mutualité.
Des structures analogiques se révèlent rapidement dans cette réciprocité. Des éléments, apparemment étrangers, se réfléchissent pour mettre à jour la similitude de leur structure ou, plus largement, l’unité structurale du vivant. Ces structures expriment ou manifestent les forces communes qui les irriguent et qui oscillent entre dynamisme et statisme, inerte et mouvant, ramification et pulsation, tension et flexion, densification et croissance, onde et sinuosité, ou encore cristallisation et expansion.
La forme visible manifeste la force invisible, mystère de l’ordre caché qui sous-tend l’apparence de la création. Des rencontres magnétiques établissent au sein de l’exposition un réseau relationnel dans lequel Formes et forces s’informent dans la dimension de leur dialogue. Ces forces évolutives sont celles qui régissent l’ordre du vivant ; elles initient biodiversité, mutations génétiques, morphogenèses ou transgénèses. Elles œuvrent dans tous les champs de l’activité humaine, qu’ils soient économique ou sociologique.
A ce titre, cette exposition intitulée « conversation » co-existe pertinemment avec la 17e édition de la Biennale de Lyon, "Les voix des fleuves Crossing the water ». Cette biennale interroge les liens interhumains et ceux qui se nouent entre les êtres et leur environnement pour mieux révéler le monde.
La Sauvetat, le 26 juillet 2024
APONIA
67, rue Saint Pierre
43150 Le Monastier sur Gazeille
06 20 49 36 90
Contact : aponia@wanadoo.fr
www.aponia.fr
Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
Sur RDV pour les groupes scolaires également les autres jours
L'église Saint Jean et le 67, rue Saint Pierre sont accessibles
aux personnes à mobilité réduite
Entrée libre et gratuite