"Les empreintes aériennes de Gisèle Bonin"
Présenter le travail pictural de Gisèle Bonin s’est imposé au Centre d’Art Contemporain Aponia, lorsque dans ses locaux s’est tenu un salon de l’art et l’édition parallèles en juin 2011. La production graphique et picturale
de Gisèle Bonin déclinent l’une comme l’autre avec conviction une démarche de plasticienne aussi sensible et méthodique que conceptuelle et prospective en art. D’abord formée à la musique et à la littérature, Gisèle Bonin a, depuis quelque temps déjà, choisi de ne plus se consacrer qu’à l’art visuel ; pour cela elle s’est, formée à l’école des Beaux-arts d’Angers. L’image du corps l’inspire, du corps tel qu’il est de l’extérieur, à vue de peau et de surface si on peut dire, et tel qu’il peut être suggéré par le biais d’un détail ou d’une zone précise. Son travail est figuratif, analogique, d’une précision littérale et presque hyperréaliste par ses moyens. Ses techniques de travail questionnent en même temps les matériaux et les outils d’expression sans dissimulation.
L’aspect du corps à découvert est son inconothèque, elle y puise images et sujets à composer formellement et symboliquement, jusqu’aux limites où l’objectivité devient un enjeu. Ses engagements abondent dans les détails suggestifs : le creux et les plis d’un ombilic, le relief d’un téton plus ou moins environné de poils, le champ d’une poitrine dénudée ou d’un flanc droit ou gauche, un fragment de peau caractéristique, la verticalité d’un dos imprègnent son travail en l’incitant à mette en tension l’étendue et l’aspect documentaires des feuilles ou des toiles. Découpées comme des champs visuels, les œuvres tendent à l’abstraction. Les reliefs comme les sujets deviennent relatifs. Comme une fenêtre et un écran conventionnels, les principes d’une étude clinique et paradigmatique du tableau priment. Le grain, la coloration quasi monochrome des matières et des effets de colorations translucides ajoutent aux œuvres une aura de radiographies. Tout semble clair, en réalité ; tout est mystérieux.
D’autres images, à la fois mentales et corporelles s’imposent de fait avec l’apparence photographique et par nature inobjective des œuvres. Ces vues sont des agrandissements et ce sont des micromondes humains. Ce sont des sélections et des enveloppes. Ces images qui parlent d’effleurement du corps en ne montrant que sa partie la plus vulnérable font penser à des songes narcissiques.
L’usage bienveillant des correspondances analogiques et formelles fait aussi place à des transgressions où s’expose un projet davantage critique que descriptif et assurément plus conceptuel que sensible. A travers ses manières d’en éprouver les ressorts, Gisèle Bonin met en cause les codes visuels, réinvente et renouvelle les perspectives expressives du réalisme extrême (Domenico Gnoli, Jean Olivier Hucleux, Wolfgang Gäfgen…).
Son travail suppose et suggère en réalité plus qu’il détaille, il brouille les références, entremêle angles de vues, distances et biais d’artistes ; d’un mot, ce travail est plus imaginatif que servile. Ce n’est pas de réalisme que se préoccupe Gisèle Bonin, c’est de « semblance », d’allure générale et d’aspect subtil. La proximité lui importe moins que les dérives appropriatives du support et de l’image, moins que les impressions individuelles et les références intimes, moins que l’idée de narrations discrètes autour de l’origine des représentations telles qu’elles peuvent être incarnées par l’art. Ses images, un peu comme celles de Paul Klee s’estompent, s’allègent « au profit d’idées et de concepts qui trouvent — paradoxalement — dans l'image le lieu d'une épiphanie où les formes peuvent s'enchaîner selon des associations à la fois nécessaires et inattendues »*. Par ses manipulations plastiques, sa capacité à faire que le regard se méprend allusivement à vouloir départager les deux statuts de la toile et de l’image, le travail de Gisèle Bonin requestionne l’identité foncière des supports d’expression aussi bien matériels qu’immatériels. Elle réinvente une histoire en transposant les surfaces conjointes du support et de l’œuvre en vraies peaux visuelles.
Gisèle Bonin fait de l’image une enveloppe diaphane, une présence étendue, un tissu et un territoire presque sans autre objet qu’une apparence visuelle. Et au-delà, une empreinte aérienne.
Alain Bouaziz, septembre 2011
Quand Christine Mathieu commence une série de photographies, quelle que soit l’origine des sujets représentés, le thème du portrait n’est jamais loin. Il n’est jamais illustré de façon conventionnelle non plus, chaque vue divergeant des normes du genre et de ses codes. La double question du sujet et du modèle se pose ainsi toujours dans son travail, et, parce qu’il induit des perspectives sur sa conception du réel et par rapport à l’aura de la photographie, cette répétition fait spécifiquement sens.
Car ses photographies montrent des créatures plus que des êtres. Elles présentent des parodies d’humains en remplaçant par des absences des êtres supposés, fabriqués et virtuels, des silhouettes aux contours flous plus que des personnalités incarnées, le tout dans des situations où la métaphore jouit. La fiction l’emporte sur le réel, la plasticité sur le document, l’engagement sur la technique.
Intitulée « La quête du silence », la série à laquelle Christine Mathieu travaille actuellement projette ses modèles dans un climat de cartes d’identité et de miroirs allusifs. À qui appartiennent donc ces visages enrubannés de tissus, de bandelettes ou de taffetas, couverts de formes ou piqués de matières végétales séchées et fixées à même leur support de polystyrène ? N’était-ce des ressemblances purement formelles avec des anatomies humaines, on est tenté aussi d’y voir des assemblages ironiques où des sortes de marionnettes ressortissent plus volontiers de l’art brut que de représentations de personnes singulières.
Dans leur linceul ou sous leur parure symboliques, chaque visage s’imagine comme une expérience corporelle paradoxale, entre palpitations et fait.
À ces mondes fantasmatiques, Christine Mathieu ajoute des environnements aux colorations subjectives, des éclairages «apparemment naturels », de sorte que l’oxymore créé avec l’impression d’être devant des restitutions allusives rend la réalité au fond plus transgressée que niée. Reste que ces arrangements qui privilégient l’expression sur la description parlent d’êtres autant que d’apparences, de doubles autant que d’avatars, de rêves autant que de comédie, que Christine Mathieu engage dans ses créations des dérives plus iconiques que purement photographiques, et qu’en ce sens son parcours engage une sémiotique.
Mais prenons garde, si cette dernière perspective fascine par ses éclairages et par ses ombres potentielles, la photographie n’impose en rien d’être techniquement objective.
La précision suggestive des cadrages et la tactilité des rendus, par la subtilité des enjeux mis visuellement en scène, font que la somptuosité des images aussi frappe l’imagination. En même temps, que de théâtres et que de peintures simultanément étudiés, que d’effets de surfaces et de transparences aussi efficaces que des estampes ! Christine Mathieu exprime dans ses photographies un esthétisme proche de l’hyperbole....
La photographie est-elle pour Christine Mathieu à la fois une fiction et un univers mental ? Il se trouve que ses images, qu’elles soient partielles ou sélectives, renvoient à des univers de femmes dont rien de ce qui les féminise symboliquement n’est minoré ou dissimulé. Ce sont des visages manifestement genrés, des connivences de formes et de compositions, des évocations sensorielles, des codes « re-silhouettés », quelquefois jusqu’à feindre l’évanescence… N’était-ce l’histoire même du regard et de la culture photographique dont l’art témoigne depuis la seconde moitié du XIXe siècle, et le trouble sur les questions de sujet depuis Marcel Duchamp, chaque vision, qu’elle soit in fine d’origine mécanique, ou qu’elle ait l’élégance d’un montage onirique, crée dialectiquement de la surprise sur ce que son auteur a souhaité illustrer, surprendre et enregistrer, ou promouvoir et exaucer, transmettre et décliner.
Inlassablement, dans l’entre-deux de l’atelier et des photographies de Christine Mathieu demeurent des images somptueuses qui, bien qu’elles soient théâtralisées, imposent esthétiquement leur hommage d’auteure.
Alain Bouaziz, septembre 2011
APONIA
67, rue Saint Pierre
43150 Le Monastier sur Gazeille
06 20 49 36 90
Contact : aponia@wanadoo.fr
www.aponia.fr
Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
Sur RDV pour les groupes scolaires également les autres jours
L'église Saint Jean et le 67, rue Saint Pierre sont accessibles
aux personnes à mobilité réduite
Entrée libre et gratuite