Julie Dalmon : Mobiliser l’incertain à l’œuvre.
Des flèches apparemment nées d’un zigzag d’éclairs de foudre et d’un hypothétique geste impérial de Jupiter, le tout sculpté dans de l’os et terminé par une pointe noire taillée comme un silex préhistorique. Disposées sur une table, de vraies omoplates de bœuf. Sur le plat de l’une d’elles, un accouplement bovin est soigneusement dessiné au crayon. Sur une autre encore, un seul bœuf, même dessin. Je me souviens avoir récemment vu et apprécié l’ironie subjective de ces productions dans une exposition consacrée au dessin érotique…* A côté, d’autres os, de même origine animale. Signes d’un travail sur le thème du corps ?
Sur une seconde table, des carnets d’études, des photographies documentaires et des objets scénographiques sont regroupés pêle-mêle. Ils témoignent de recherches et de créations antérieures éphémères ou in situ. Enregistrées à l’aide d’un téléphone portable, des séquences de travail enregistrées en mode selfie me sont aussi présentées. Julie Dalmon m’invite à les regarder comme des œuvres en soi.
A quoi tient cette étrange confusion dont ces œuvres font signe pour que je sois troublé au point d’oublier qu’elles pourraient avoir été extraites des collections ritualiques de quelque musée d’art populaire ou ethnologique, sinon présumer un hypothétique cabinet de curiosité ?
Sur quoi se fonde ma perplexité amusée face à ces productions parfois exubérantes et qui diffusent tant d’étrangeté et d’originalité ?
Tout semble conçu selon un même paradigme : une thématique imprécise et des matériaux bruts sont engagés entre eux vers une autre relation à laquelle le spectateur va contribuer. L’objectif est d’exprimer et d’incarner par la plastique l’esthétique de connections subjectives.
Dans ce pavillon de banlieue en partie désaffecté dont elle a fait son atelier de vie artistique, Julie Dalmon me dit être attachée aux objets mémoriels ou contemporains, au stylisme, au design et à l’environnement, auxquels ses études l’ont d’abord sensibilisée. Soucieuse d’être précise, elle m’indique se départir d’intentions d’antiquaires et de collectionneurs d’objets précieux (un monde qu’elle connaît bien), pour se concentrer sur un infini poétique que ses propres constructions imaginaires transmettent et par quoi elles font plus que séduire. Qu’il s’agisse donc de créations apparemment passées ou en cours, déjà exposées ou liées à des projets futurs, Julie Dalmon entend se démarquer en scénarisant des compositions plastiques jamais réellement finies, en un mot, toujours flottantes, des « œuvres ouvertes » aurait dit peut-être Umberto Eco**. Alors qu’elle sollicite mon attention en suggérant « ne pas s’intéresser à la qualité de son dessin et préférer l’idée », je songe que son art semble faire de « l’incertain » un moteur essentiel.
Tout en me montrant son travail dans un ordre aléatoire, et pour faire écho à mes interrogations sur son sens du mot « idée », elle met l’accent sur l’impact suggestif de ses productions, sur un feed back attendu au centre de leur existence. De là découlent non pas des thèmes plus adaptés que d’autres, mais des aventures esthétiques qu’il faudra poursuivre et prolonger.
Nous conversons autour de conduites inventives réputées, nous nous accordons pour dire que des pistes restent à explorer pour faire du spectateur un rêveur capable de s’opposer symboliquement au réel par une poésie personnelle agissante !
L’imagination plastique de Julie Dalmon est sans borne et sans réserve. De fait, sa pratique n’évoque que des ouvertures aux sens. Elle dit n’attacher au visuel qu’un temps d’intérêt relatif. L’idée plastique compte d’abord, au risque d’entendements autres. D’un talent simple aux accents extrême-orientaux, elle suggère qu’il faut à tout moment une apparence d’incertitude dans les rapprochements, associations, combinaisons, fusions, superpositions, confusions, hybridations, rimes et maillages possibles. Coller au réel est pour elle aussi important que s’en détacher ou le survoler pour le mettre à distance, et le flouter si nécessaire.
Il se trouve que le collage se présente comme l’activité créatrice sans doute historiquement la plus élémentaire si on veut l’entendre aussi bien comme pratique d’instauration esthétique que comme mise en jeu visuel. Par une sorte de perspective commune avec le collage, l’écriture automatique initie un paradigme de production lui aussi dépourvu de contrainte, où l’expression la plus libre de l’invention esthétique peut souffler et respirer***.
L’ultra liberté du collage et de l’écriture automatique disparaît si elle devient un style préconçu. Par réaction, avec ses flèches-éclairs de foudre, bras séculiers blancs et noirs, à la fois en forme de glaives et de sceptres impériaux, ou à travers ses autres œuvres scénarisées dans des oxymores factuelles, Julie Dalmon réagit avec perspicacité. En rendant toute composition à priori admissible sous condition que l’offre soit intrigante et que la logique puisse être défiée, elle fait de l’incertain une force conceptuelle qui permet aux dérives du travail, de l’œuvre, de l’artiste et du spectateur de s’exprimer ensemble.
Julie Dalmon dit bien concevoir autant les coïncidences incertaines que les effets de théâtre. Evidemment il y a l’artiste. Naturellement le spectateur. Il y a encore ce que Julie Dalmon croit aussi avoir mis dans ses œuvres pour qu’elles suscitent et éveillent, voire réveillent l’attention autant que l’intérêt… « Les monstres m’intéressent beaucoup » dit-elle avec détachement.
Côté spectateur, l’apparence de ses thèmes d’inspiration comme sa sensibilité raisonnée pour l’incertain entremêlent des résonnances aussi métaphysiques qu’implicitement réactives.
Alain Bouaziz, juillet 2016
* Salo IV Salon du dessin érotique, Espace 24rue Beaubourg, 8/10 avril, Paris 2016, commissaire Laurent Quénéhen.
** Umberto Eco, L’œuvre ouverte
*** André Breton, Manifeste du surréalisme.
Assignée en résidence / Texte Julie Dalmon
Cette exposition entre dans un cycle sur le thème de l'indulgence.
Le titre est trompeur : je ne suis nullement en résidence, ni même enfermée. Toutefois l'univers que je pose au centre d'art Aponia a trait au carcéral, à ce qui retient, empêche. Les formes des pièces qui émergent de ce sentiment là expriment des résistances symboliques, poétiques. Car à elle seule, la poésie peut changer notre vision du monde.
La lumière blanche m'éblouit. Des lignes de barbelés acérés tendues au-dessus de ma tête me clouent au sol. Des feuilles d'arbre rousses jonchent le sol. Au loin, j'entends le chant joyeux sud-africain que j’ai enregistré dans une rue de Cape Town en avril dernier.
D'abord, N°14, la chaise bistro, étirée comme un mirador, pose l'alcoolique en maître des lieux, en maton inaccessible. La loi n'a ici ni queue ni tête.
Puis s'élance l'échafaudage dont l’ossature est en tibias d'autruches. L'autruche, Maât chez les égyptiens, était la déesse de l'équilibre du monde et de la justice. Echafaudage, échafaud : il y a la mort dans ce mot. Ne construisons-nous pas sans cesse sur ce qui meurt ? Les échelles de chaque côté de la structure m'incitent à prendre de la hauteur, à reconsidérer ma cellule d'en haut et à, peut-être, m'en échapper. Les pattes de l'oiseau échassier sont des armes redoutables : non seulement elles le portent à plus de 80 km/h, mais surtout il peut tuer son ennemi en le rouant de coup. Mon échafaudage est un ressort, au sens propre comme au figuré.
Au mur, les foudres au manche d'os -d'autruche également, se terminent par des flèches taillées dans le graphite (du grec graphein, écrire) à la manière préhistorique. Ce sont des armes de pointes : elles défendent par l'écriture ceux qui ne peuvent défier de front.
Plus loin, le bélier monumental en papier gris-bleu décolle légèrement du plancher des vaches. Il formalise un outil imaginaire, abscond, qui serait capable d'enfoncer les portes de l'esprit comme un ouvre-boîte. Il prend lui-aussi sa source en Afrique du Sud, à la prison de Convention Hill à Johannesburg. Nelson Mandela y fut emprisonné quelques temps avant de rejoindre Robben Island. Dans les cellules collectives, ou le quartier d'isolement, les prisonniers fabriquaient de petits poupons de papier mâché gris bleu. Ces statuettes fragiles et attendrissantes, tant par la maladresse de leur facture que par la nécessité même de leur fabrication, m'ont beaucoup touchée. Figures d'enfants arrachés aux âmes perdues dans la gueule du monstre nommé Apartheid.
Dans la cour d’enceinte, des os de bassins forment la carte de la baie de Cape Town. C'est mon plan d'évasion. J'ai dessiné l'île de Robben Island sur mon dos, l'omoplate. Le dessin est assez précis car c'est mon point de départ. Sur chaque partie du bassin j'ai tracé ce que je connais des quatre points de chute possibles : Dassein Island, Seal Island, Cape town nord, Cape town sud.
Pour l'heure je suis coincée à l’intérieur, claustrée. Ca chante dehors, ça vit, mais je suis confinée ici. Les vestiges de colonnes en savon témoignent de la désuétude et de l’inefficacité du système carcéral. Cependant les prisons de Fleury Mérogis et Clairvaux prétendent toujours laver les âmes à blanc. Seule ouverture ici : rêver.
C’est parfois dans l’aliénation que naissent les plus beaux chants, la poésie nouvelle.
Les pièces que je présente jouent de contrastes entre le visible, le symbolique et l'imaginaire. Je veux rappeler que c’est du fond de sa prison que Nelson Mandela pensa un monde libre pour le peuple noir d’Afrique du Sud et fomentât la révolution. Le titre de l’exposition résume, dans sa bascule de préposition, la résidence obligatoire du condamné et l’invitation en résidence de l’artiste. C’est un changement de point de vue, un léger pas de côté.
APONIA
67, rue Saint Pierre
43150 Le Monastier sur Gazeille
06 20 49 36 90
Contact : aponia@wanadoo.fr
www.aponia.fr
Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
Sur RDV pour les groupes scolaires également les autres jours
L'église Saint Jean et le 67, rue Saint Pierre sont accessibles
aux personnes à mobilité réduite
Entrée libre et gratuite