Sortie de résidence de Nadine Lahoz-Quilez
Texte : Anna Rémuzon
Alors que son omniprésence et sa permanence le confinent à l’inaperçu… quel est donc cet Organisme Vivant Non Identifié auquel l’artiste Nadine Lahoz-Quilez a consacré ses deux mois de résidence chez Aponia ? Comme l’artiste, il faut d’abord le chercher partout autour de nous… et peut-être le trouver sous son meilleur jour, camouflé sur le mur de la place des Chirouzes. Coïncidence étymologique ou botanique, c’est là que le Xanthoria parietina a élu domicile et revêt son plus beau jaune. Ceci n’est pas une plante !!! Ceci est l’un des multiples visages ancestraux du lichen. Tel un explorateur téméraire, il s’établit là où nulle plante n’est jamais allée. Il progresse lentement mais sûrement sur l’écorce, la terre, la roche ou le bitume… et bien d’autres substrats créés par l’homme. De symbiose en métamorphose, il en vient à révéler le secret de sa longévité : un échange mutuel et bienfaisant entre un champignon et une algue (ou une cyanobactérie). Alors, le lichen devient métaphorique puisqu’il incarne une stratégie réussie d’adaptation séculaire… un modèle du vivre ensemble.
Aux confins des règnes du vivant, le lichen avait tout pour séduire l’artiste dont la pratique manifeste le lien entre l’espace et le corps et décloisonne les existences. Ainsi, elle fait émerger ce qui nous unie… une autre taxonomie qui s’exprime au travers de ses œuvres. Lors d’une résidence, l’atelier devient en quelque sorte un laboratoire d’expérimentation… rapprochant plus que jamais l'esprit artistique de l’esprit scientifique. Ici, l’artiste sort de sa zone de confort, prend des risques et repousse les limites de la connaissance… de soi et du monde. Les idées prennent la forme de tests, d’investigations et de spéculations qui, dans l’alchimie des formes et des couleurs, dessinent ensemble le chemin vers de nouvelles communications. Nadine Lahoz-Quilez ne s’y est pas trompée… en “touchant” au lichen, elle a ouvert la porte sur une nouvelle dimension qui autorise autant la continuité que la rupture avec l’existant… d’inextricables réseaux en nous et autour de nous.
Après l’observation minutieuse et la recherche approfondie, vient le temps des dessins qui se déclinent comme autant de portraits du lichen. Il faut le représenter dans les moindres détails mais aussi le laisser s’exprimer… en extraire l’orseille qui vient, tantôt, rehausser le papier de sa teinte pourpre-rosée comme la chair. L’artiste devient alchimiste et entre progressivement dans l’intimité biologique de la matière, tandis que le lichen devient geste. L’artiste nous invite ainsi à faire partie de cette symbiose… offrant souvent une double interprétation possible. Les circonvolutions du lichen suggèrent en nous l’imagerie médicale des méandres du cerveau. L’artiste joue en permanence sur ces associations subliminales, ces ambiguïtés choisies et ces résonances biologiques. Elle poursuit son “exploration fonctionnelle” et l’on ressent instinctivement qu’il y est question de nous, en tant qu’être humain, autant que du lichen. Tout s’abstrait et tout se réalise en fonction de la distance que notre regard prend avec les choses… une zone proche de l’imaginaire.
Par l’introduction des cercles, l’artiste fait le lien avec son travail antérieur intitulé “Métamorphose du déploiement où nul ne sait ce que peut le corps”. Elle renvoie ainsi à l’archétype cellulaire et cette membrane qui rapproche encore les organismes vivants. Le lichen s’efface progressivement à son profit. Etudier le thalle du lichen s'apparente à une démarche d’ordre histologique tant le dessin apparaît tissulaire et morphologique. L’artiste nous amène à voir l’invisible et même au-delà de nos propres attentes. Elle transforme notre regard en microscope d’une anatomie toujours plus profonde… jusqu’à pénétrer le réseau des fascias comme celui de la couche algale. Les touches de jaune, réveillent encore le souvenir du Xanthoria parietina, tandis que la résine et le silicone transparents apportent un volume organique inattendu et palpable à la surface du papier comme celle du lichen sur un mur. L'œuvre devient vivante… elle prend corps dans l’espace.
Le retour à la couleur contribue aussi au passage du dessin vers la risographie, qui est en quelque sorte l’aboutissement de ce travail en résidence. Une grande première pour l’artiste qui doit réinterpréter l’image, anticiper les contraintes du livre et apprivoiser une nouvelle technique d’impression. Elle doit imaginer la possibilité d’une toute autre métamorphose. Les strates de couleurs de la risographie qui se superposent comme les couches du lichen ou celles de la peau… apparaissent alors comme une parfaite coïncidence. La photographie entre aussi en jeu dans ce travail de bascule et de déplacement des éléments en dehors de leur contexte habituel. L’artiste nous oblige à changer de perspective et déjoue une nouvelle fois les prédictions en associant ou en fusionnant des morceaux d’images issues des différents règnes du vivant. Elle rapproche, avec une grande cohérence et vraisemblance, ce que la nature et l’homme ont séparé. Elle propose ainsi une troisième voie… surnaturelle et surhumaine… une symbiose bien plus globale, en faisant l’invention d’un corps universel…
APONIA
67, rue Saint Pierre
43150 Le Monastier sur Gazeille
06 20 49 36 90
Contact : aponia@wanadoo.fr
www.aponia.fr
Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
Sur RDV pour les groupes scolaires également les autres jours
L'église Saint Jean et le 67, rue Saint Pierre sont accessibles
aux personnes à mobilité réduite
Entrée libre et gratuite