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Claire Barbier
Claire Barbier
Avant les chiens

Le centre d’art contemporain Aponia présente une installation de Claire Barbier, sur le thème d’Actéon. L’oeuvre où se mêlent divers éléments de natures, de formes et de compositions différentes semble disparate. Ce qui paraît être des hésitations foncières suscite, comme on le comprend, autant de questionnements par vagues successives sur l’art d’être artiste que des interrogations sur son rôle ainsi que sur les sources de ses oeuvres ou sur leur fonction.
L’histoire d’Actéon est connue : « Actéon, fils d'Aristée et d'Autonoé, est un jeune prince initié à l’art de la chasse par le centaure Chiron. Par une chaude journée, Actéon surprend Diane, fille de Zeus et de Léto, et ses huit nymphes se baignant au bord d'un ruisseau au cours d'une chasse. Furieuse, Diane chasse Actéon et, pour se venger, le transforme en cerf afin qu'il soit poursuivi par ses propres chiens. Actéon tente de s'échapper mais il est dévoré par ses bêtes qui l’ont pris pour un gibier. Les chiens ont compris trop tard que c’était leur maître et en ont été affligés. Plus tard, le centaure Chiron fera faire une statue d’Actéon si ressemblante que ses chiens viendront se coucher à ses pieds.»
De multiples tableaux élégiaques ou apologétiques ou purement littéraires illustrent la parabole et la transforment en message subliminal selon des perspectives variables.
L’essentiel est d’évoquer la métamorphose nécessaire à la réincarnation ou le passage du jeune prince au statut d’Homme ». Chaque occasion illustrative est aussi l’opportunité de croiser subjectivement un environnement sensoriel avec un paysage paradoxal et fantasmatique, d’en faire dépendre le trouble tout à la fois naturel, poétique, et humain du jeune héros légendaire.
Avant d’être scénographié dans le centre d’art, le mythe reprend forme dans l’atelier de l’artiste à travers un groupe de cerfs tournés vers le centre de la pièce et dessinés au lavis sur de grandes feuilles réparties sur les murs.
En même temps que les cerfs paraissent surgir fictivement des bois, le lieu de travail devient clairière, et laisse entendre que Claire Barbier, saisissant la spécificité de l’environnement du centre d’art, lieu imposant et complexe justement en partie entouré d’arbres, va magiquement le transformer en une forêt, objet de transfert par excellence.
L’installation du lieu désormais chargé d’expression onirique se complète donc de la répartition calculée d’objets en céramique d’apparence abstraite, comportant néanmoins l’empreinte de pieds humains. D’autres formes complètent le paradigme, des moulages de pieds de cerf précisément décrits dans du marbre blanc, des boîtes-armoires livres-reliquaires et aussi des listes de mots couplés en miroirs. Le spectateur est invité à fonder ce revival par sa propre relecture du mythe.
J’imagine les cerfs fixant à la fois les céramiques et les visiteurs… J’imagine les visiteurs face aux regards des cerfs… et Claire Barbier s’appropriant les lieux pour les réinventer, proposer d’en refonder leurs codes même…
Je l’imagine au travail, cherchant à profiler de nouveaux paysages d’apparences naturelles, des paysages lyriques, des paysages mentaux, des « paysages domestiques »
Dans sa métonymie de l’opacité forestière, j’imagine le centre d’art investi de paysages à rêver debout, yeux ouverts, dans une obscurité virtuelle.
Mais il y a aussi l’atelier pratique, son théâtre d’ombres aussi véritablement fait des oeuvres que des dérives de leur créatrice éprise du Merveilleux. Dans le lieu physique, les créations s’éclairent discrètement et mutuellement par leur silhouette et leur mémoire. Chaque oeuvre brille d’un imaginaire intérieur presque palpable.
Claire Barbier est une artiste saltimbanque, une voyageuse, itinérante dans l’âme. A la fois musicienne et peintre, dessinatrice et performeuse, elle s’applique à exceller plastiquement dans tous les genres tout en se revendiquant essentiellement sculpteur.
Férue de paradoxes, amoureuse des oppositions poétiques, l’artiste d’abord initiée aux arts circassiens puis aux Beaux Arts de Paris, est, comme on le comprend, multicarte davantage que multipraticienne. Son travail puise dans les hors champ l’inventivité de ses oeuvres, jalonne la création plastique sans désir d’en spécifier une lecture exacte, arpente les paysages naturels aussi bien que les contrées où la raison s’élabore en se cherchant, creuse le sens de ce par quoi se définit ou se re-matérialise son univers onirique, se risque au virtuel.… Les usages suivent, à la fois pragmatiques et sensibles, toujours placés sous l’angle d’une création dynamique.
Le travail qu’elle présente à Aponia file en ce sens ou bien s’aventure simultanément dans plusieurs histoires, dans diverses temporalités, s’emploie apparemment dans le paysage autant que dans le portrait, la scène de genre et l’allégorie, s’arrange avec l’hyper figuration et avec l’allusion périphérique, valide l’esquisse autant que
l’empreinte, joue visuellement la forme et sa contreforme, la lumière et l’ombre, l’embué et l’incorporel ; l’artiste tente une réinvention des orientations et de la destinée de l’expression plastique.
Partout elle revisite la nature obsessionnelle de la sculpture : jouer avec les pleins et les vides, placer un objet sur un socle ou le faire tourner dans l’espace, incarner un projet physiquement et fictivement, et inviter le spectateur à l’entrevoir comme un sujet à la fois riche et réel.
On l’a rappelé, l’installation in situ se met par principe en place depuis l’atelier. Mais avec la perspective de l’exposition, le lieu d’exposition devient atelier, qui se trouve en situation d’être re-signifié. L’installation inverse les rôles de l’artiste et de l’oeuvre, surjoue l’instant du travail dans la création à venir, sort son occupant de son micro-monde.
Par procuration, l’artiste s’en sert pour « piéger » ses codes de travail, faire de l’atelier un objet possible pour l’oeuvre, qui évolue au rythme des dispositions et des recentrations : rêve éveillé qui s’instaure en s’installant.
Sur leurs pans de papier blanc qui semblent se confondre avec les murs de l’atelier, les dessins des animaux contrastent avec le travail à l’encre délayée du lavis. Les cerfs ne surgissant effectivement qu’en apparence, le traitement nuancé des volumes leur donne un faux air de bas relief. Dans leur dédoublement, ils animent spectaculairement leur mode d’apparition. Le lieu devient écrin, l’ouverture de la forêt devient lever de rideau, la clairière mute en piste circulaire d’un spectacle extra-ordinaire. Métaphoriquement, c’est aussi le lieu fantasmatique de la rencontre de Diane et Actéon.
Retour au projet pour le centre d’art. A peine sortis de leur mode d’expérience matérielle et dispersés à même le sol encore colorés de leur teinte symboliquement nocturne, les objets sculpturaux semblent cependant sortir des nimbes. Ils évoquent des nuages, des moulages de corps charnus… Les autres éléments mis en scène, écritures et
armoires, boîtes et reliquaires, bruissent dans une atmosphère d’opéra. Le spectacle ne fait que commencer… Nul doute qu’en tant que musicienne, Claire y a songé.
Davantage qu’une oeuvre in situ, l’installation de Claire Barbier semble au fond participer à une réflexion initiée depuis les années 70 et le « Land Art » ou les arts de la performance sur ce que peut aujourd’hui être un(e) artiste paysagiste. Comme une fine conciliation entre romantisme, impressionnisme et arts conceptuels, les décalages excentriques dont se nourrit sa production excluent les séparations, fusionnent les perspectives épurées, allusives ou poétiques du genre.
Rien d’un pur existant ne s’y trouve décrit et pourtant… Rien de ce qui y est figuré n’y perd son fil imaginaire et symbolique. Les cerfs fixent le centre de la clairière, les moulages sur le sol…
Les dessins se font face, l’installation décline ses ingrédients, les référents s’entrecroisent… Chaque élément converse plastiquement avec un univers qui lui est associé en rêve.
D’où l’art mystérieux de Claire Barbier, énigmatique sur ses sources autant que sur ses modes d’accomplissement, créatif dans ses appropriations, pragmatique quant à ses symboles entre figuration et évocation…
D’où un art clairement imaginaire et engagé !
Alain Bouaziz, septembre 2013

en Images

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43150 Le Monastier sur Gazeille

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Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
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