Architectures redéployées
Marion Verboom/ Marine Pagès/ Simon Boudvin
L’architecture, généralement imputable aux œuvres conçues et exécutées en trois dimensions, concerne communément l’habitat dans ses relations avec les grandes activités matérielles, sociales et spirituelles de la vie humaine. Mais que considérer dans l’architecture et les édifices réels, du construit et de ce qui est concerté, quand c’est à l’imagination qu’on pense ? Ou à quoi être sensible quand l’essentiel de ce qui fait l’architecture paraît détourné vers d’autres techniques, voire d’autres œuvres comme la peinture ou la sculpture et l’ins-tallation, autrement dit, quand l’architecture demeure, mais de façon plus symbolique et figurée que pratique et fonctionnelle ? C’est par une forme d’ironie que le spectateur est invité à habiter la réalité paradoxale d’une architecture redéployée. L’ironie forge d’autres gages et d’autres fonctions pour l’architecture, pour son usager qui peut alors l’habiter de façon "déguisée", lui substituer la notion de dispositif et tout ce qui en procède, ou ce qui est inhérent à l’œuvre. Elle autorise la pratique simultanée d’autres arts, on parle d’architecture de notes en musique, de construction picturale, de construction narrative pour un film ou un roman. On engage une sculpture monumentale, on initie une composition d’aspect architectural dans un cadre purement photographique. S’il s’agit de peinture, on suggère une thématique environnementale au moyen d’un format "excessif", et ce sera l’allusion à une ville représentée presqu’à son échelle ou un paysage singulièrement ordonné. Dans tous les cas, il y a un passage de l’œuvre sous l’angle de la pensée, et un décollage de la forme vers une sorte d’esthétique purifiée, sans idéologie. Simon Boudvin manipule les matériaux mêmes de la définition liminaire de l’architecture : l’habitat dans ses relations avec les grandes activités de la vie humaine. On note cependant de sa part un goût pro-noncé pour les installations et les happenings, comme on peut en juger d’après les photographies qu’il a choisi de présenter. Une ville est pour lui plus qu’une concentration d’architectures ou un plan d’urbanisme, c’est aussi ce qui s’y produit ou humoristiquement, ce qui s’y pose, (et qui, en s’y fixant, ne serait qu’un temps limité), s’en imprègne ou déborde de son environnement. Que viennent donc faire ces avions au milieu de ces immeubles, en lieu et place de la place au milieu de laquelle ils sont ? Sont-ce des métaphores d’insectes effectuant une halte passagère ? Ils seraient des résidences ? Faut-il les habiter ? Sont-ils déjà occupés ? Par qui ? À quoi riment ces paysages d’alunissages et ces appareils prenant l’apparence de vaisseaux architecturaux fantastiques ? Rien de ce sur quoi l’image de l’image de l’architecture bute ne semble échapper à ces vues de reportages littéralement hallucinantes. De son point de vue, une construction est de l’extérieur une énigme, la présentation d’un paysage et d’un aménagement virtuels où tout semble faire écran et se trouver en même temps à cheval sur tout, dans le défi permanent des limites. Ces photographies apparemment objectives sont des montages et des mises en scène comme il le dit lui-même. Les cadrages sont arrangés de telle façon qu’ensemble, le sujet de la représentation et sa mise en espace condensent les éléments d’une fiction architecturale. Ce ne sont pas les avions qui se sont posés, c’est la ville ou l’environnement qui ont poussé autour, vous avez bien les pieds sur terre, un aéronef est une construction volante. Qui peut croire à une pure invention quand l’imagination devient la réalité, comme ce photo reportage librement architectural l’indique ?
Visible d’entrée sur son site internet, l’atelier de Marion Verboom suffirait à évoquer que l’architecture est pour elle une embarcation. Ses travaux d’architecture embarquent par des implications et des "embringueries" volumiques auxquels son sens discret de l’humour et la constante fluidité de son propos aboutissent à débarquer le commun au profit du singulier. On voit sur les murs des dessins aux allures de projets et sur le sol des maquettes aux contenus indéfinis. Mais aussi des objets sculpturaux présumant des arcs boutants, des pilastres, des corniches, des meurtrières, des éléments de charpentes… Ce semblant de corpus où je crois revoir par ailleurs des accessoires scénographiques de Robert Wilson ou des objets de design sans usage pourrait suffire, mais de son côté, Marion Verboom revendique l’influence de Donald Judd, de Richard Artschwager, de la sculpture minimaliste et conceptuelle : "la place que ces sculptures occupent dans l’espace, les distances entre l’une et l’autre et les rapports qu’elles entretiennent avec le sol. Cependant, cette présentation est une proposition que je serais tenté de varier dans le futur, en installant certaines de ces sculptures de manière à utiliser différemment leur potentiel de compression et d’extension." On est donc en droit de lui demander ce que, pour elle, représentent les palais, les cathédrales, les ponts. Son art serait-il inspiré par une distance humoristique identique à celle de Rodin suggérant : "Une bonne sculpture, c’est ce qu’il en reste quand elle est tombée de son piédestal !" ? L’aspect des objets que forme Marion Verboom, et tout ce qui s’y rapporte, leur silhouette, leur taille, leur matière, leur présentation in situ et leur potentialité à paraître en constant décalage sont une invitation à toujours voir sa créativité sans asservissement, en recherche, comme une installation mutante.
Les préoccupations de Marine Pagès pour le dessin sont connues grâce à Roven (1), une revue sur le dessin contemporain dont elle assure avec talent l’animation. Sa production d’artiste, des œuvres de diverses natures, aussi bien dessinées que sculptées ou créés in situ, sont fortement inspirées par toutes les facettes de l’architecture. Elle opère aussi bien en direction de l’expression purement visuelle qu’en direction du volume ou des orientations psychiques et poétiques, s’appropriant à sa manière cet argument de Jean Nouvel : " Dans le même plan, je ne sais jamais si je vois l’image virtuelle ou je vois l’image réelle… la cuisine architecturale, c’est une façon de conserver un territoire de déstabilisation." (2) N’étaient-ce ces objectifs apparents, Marine Pagès pratique l’imprécision plastique et la confusion des relations esthétiques davantage que l’analogie directe. Par exemple, ses sculptures sont des architectures en réduction et des volumes abstraits. Ses dessins sont aussi bien perceptibles comme des sortes de plans que comme des illustrations. Ses peintures s’apparentent autant à des images populaires qu’aux sténographies de formes justes esquissées. Ses assemblages sont à la fois composés de choses disparates et de formes proportionnellement ajustées pour ne produire qu’une seule composition. Ainsi qu’on le comprend, et qu’elle va montrer, l’expérience artistique est pour Marine Pages un défi. Son architecture n’a de sens qu’en tant que pensée en action, son approche de l’esthétique a pour horizon l’instauration de plusieurs états à la fois successifs et simultanés, chacun rendant l’autre virtuel. En miroir, on convient avec Marine Pages que le spectateur dispose de ses limites...
Alain Bouaziz,2010
1-Roven, revue critique sur le dessin contemporain.
2-Jean Nouvel, (avec Jean Baudrillard), Les objets singuliers. Architecture et philosophie, Calmann-Levy, Paris 2000.
APONIA
67, rue Saint Pierre
43150 Le Monastier sur Gazeille
06 20 49 36 90
Contact : aponia@wanadoo.fr
www.aponia.fr
Vendredi, samedi et dimanche de 15h à 18h (en Période d'exposition)
Sur RDV pour les groupes scolaires également les autres jours
L'église Saint Jean et le 67, rue Saint Pierre sont accessibles
aux personnes à mobilité réduite
Entrée libre et gratuite